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Actualité de la recherche
Débats. Le financement de la recherche sur projets : pourquoi et comment ?

Financement de la recherche sur projet

Les initiatives de l’European Research Council
Alain Peyraube
p. 343-346

Full text

  • 1   Pour la France : Geneviève Berger et Jean-Luc Clément (CNRS), Pierre Papon (OST), Étienne-Émile B (...)

1On peut sans doute faire remonter l’origine de la création d’un Conseil européen de la recherche (European Research Council, ERC) à l’organisation d’un colloque intitulé « Do we need a European Research Council? », qui s’est tenu à Copenhague les 7 et 8 octobre 2002, sous l’égide de la Commission européenne et des Conseils de recherche du Danemark, colloque auquel ont participé plus de 200 personnes. Le commissaire européen pour la recherche Philippe Busquin, plusieurs ministres et presque tous les responsables nationaux des politiques de recherche des pays européens étaient présents1.

2Le constat a été dressé que l’Europe négligeait trop la recherche fondamentale et que la constitution d’un ERC devrait permettre de remédier à cette insuffisance. Il a été suggéré de créer d’abord un petit « groupe de savants », c’est-à-dire des scientifiques de haut niveau (sans administrateurs ou gestionnaires de la recherche) avec à leur tête un président qui serait une personnalité scientifique internationalement reconnue, pour proposer les fondements d’un tel ERC et en définir les caractéristiques. Ce regroupement aurait pour mission de réfléchir à un modèle de financements importants sur projets en développant impérativement une approche « bottom-up », trop marginale au sein des programmes de l’UE, mais aussi à un mode de sélection des projets, à une gouvernance assurée par des scientifiques, à une articulation entre collaboration et compétition, etc.

3Ce groupe, constitué de 22 membres, devait être constitué dès l’été 2005 sous le nom de Conseil scientifique (CS) du futur ERC, et l’ERC fut officiellement créé dans le cadre du programme « Ideas » au sein du 7e programme-cadre (2007-2013) au début de l’année 2007 avec un financement de plus de 7,5 milliards d’euros.

4Les propositions du CS, entérinées rapidement par la Commission européenne, faisaient état d’un dispositif qui faisait de l’ERC la première agence de financement pan-européenne de « recherche frontière » caractérisée par une absence de limites disciplinaires (l’opposition entre recherche fondamentale et recherche finalisée, entre science et technologie, ayant été jugée obsolète) et destinée à des projets et équipes individuels — et non pas à des réseaux contraints d’associer plusieurs pays européens — choisis par les candidats eux-mêmes et sélectionnés sur la seule base de l’excellence scientifique. Elle se devait d’être « autonome (au niveau de la gouvernance), efficace et transparente ». De plus, elle devenait la seule composante du 7e programme-cadre à ouvrir ses appels d’offres aux chercheurs et équipes du monde entier, et non seulement européens, à la condition que les projets financés soient gérés par une « entité légale européenne », autrement dit par une institution de l’UE ou d’un des pays associés à l’UE. Les porteurs de projets avaient en outre la possibilité de changer d’institution d’accueil et de pays en cas de besoin (portability of the project).

  • 2   Cette répartition est aujourd’hui respectivement de 44 % (PE), 39 % (LS) et 17 % (SH).
  • 3   Trois programmes essentiels sont désormais en cours à l’ERC : un programme « Starting Grant » pou (...)

5Pour des raisons opérationnelles évidentes, le CS divisait l’ensemble du domaine de la recherche en trois secteurs : PE (Physical sciences and Engineering, c’est-à-dire les sciences de la matière et de la nature), LS (Life sciences and Medicine, c’est-à-dire les sciences de la vie) et SH (les sciences humaines et sociales). La répartition budgétaire proposée était la suivante : 45 % pour le secteur PE, 40 % pour le secteur LS et 15 % pour le secteur SH2. Le CS décidait aussi de lancer tous les ans deux appels d’offres distincts : un pour les jeunes chercheurs (« Starting Grant ») avec un financement par projet de 1,5 à 2 millions d’euros pour cinq ans, un autre pour les chercheurs déjà confirmés (« Advanced Grant ») avec un financement des projets de l’ordre de 2,5 à 3 millions d’euros au maximum pour cinq ans3.

6Les dossiers à remplir en réponse aux appels à propositions ont aussi été voulus par le CS élémentaires et sobres, tout en étant suffisamment informatifs pour les évaluateurs. Ils sont composés de deux sections. Une première section comprend un résumé d’une demi-page, un curriculum vitae de 2 pages au maximum, suivi d’une bibliographie du candidat (aussi limitée à deux pages) qui reprend ses publications les plus importantes des 10 dernières années, et d’un synopsis du projet de 5 pages. La deuxième section détaille l’ensemble du projet complet sur 15 pages (au maximum).

7Le CS proposait enfin de confier l’évaluation des projets déposés à un ensemble de comités d’évaluation formés de 12 à 15 scientifiques renommés dans leur domaine d’expertise et sélectionnés par les membres du CS eux-mêmes, à savoir par des scientifiques et non pas par des administratifs qui consultent les nombreuses listes d’experts qui existent au niveau européen. Ces comités, à l’origine au nombre de 20 (8 pour le secteur PE, 7 pour LS et 5 pour SH) et aujourd’hui de 25 (10 PE, 9 LS, 6 SH), se réunissent deux fois par an car l’évaluation se fait en deux étapes. Ils ont à leur tête un président dont la tâche d’harmonisation est importante pour réaliser la synthèse des avis des membres du comité. Ce dernier est assisté, pour ce faire, par deux collaborateurs scientifiques qui relèvent de l’Agence exécutive de l’ERC et qui contrôlent que tous les comités respectent les mêmes principes d’évaluation.

8Le travail de ces comités est déterminant. Ce sont eux, en effet, qui prennent les décisions de retenir ou non tel ou tel projet, et de justifier ces décisions. Les paramètres pris en compte pour sélectionner les projets à financer sont aussi très simples, étant entendu que seule compte l’« excellence » de la recherche : tout d’abord, la valeur scientifique du candidat et son aptitude intellectuelle et créative à mener à bien un projet innovant ; ensuite, la qualité scientifique et le caractère innovateur du projet, ainsi que son impact potentiel au niveau théorique et méthodologique. Un troisième critère est aussi pris en considération, mais à un moindre degré, et n’est pas l’objet de l’attribution d’une note : la capacité de l’institution d’accueil à assurer les conditions nécessaires à la réalisation du projet.

9On reconnaît volontiers aujourd’hui que la création de l’ERC a été un franc succès, et a conduit au renouvellement de bon nombre de pratiques des agences ou conseils de recherche nationaux en Europe dans leur politique de financement de la recherche sur projet. La recherche européenne de haut niveau a été incontestablement amplifiée, quel que soit le domaine, et plus particulièrement, peut-être, dans celui des sciences humaines et sociales. À la fin de 2013, 3 500 projets avaient été financés (dont 65 % pour des chercheurs en début de carrière) pour des lauréats de 58 nationalités différentes menant leurs recherches dans 500 institutions et 29 pays différents.

  • 4   On peut noter à ce propos que la France, dans le domaine des SHS, n’a cessé de reculer, dans le c (...)

10La collaboration, rendue nécessaire, entre chercheurs de différents pays pour finaliser des projets de recherche ambitieux, mais aussi et surtout la compétition entre équipes nationales de ces différents pays ont aussi fait prendre conscience des atouts et des lacunes des divers systèmes de recherche au niveau européen4.

11L’ERC, cependant, avait pour objectif initial de rendre l’Europe plus attractive, pour permettre le retour en Europe des postdoctorants partis à l’étranger (et surtout aux États-Unis) et l’accueil en Europe des chercheurs les plus brillants issus des pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Si le bilan concernant le retour des postdoctorants reste modérément acceptable, l’accueil des chercheurs (surtout les jeunes chercheurs) les plus brillants des pays émergents reste aujourd’hui ce qu’il faut bien appeler un échec. Il n’empêche que l’attractivité de l’ERC ne se dément pas. La France, et notamment le CNRS, tentent de mobiliser les chercheurs afin qu’ils répondent plus nombreux aus appels d’offre et l’ANR est sollicitée pour encourager, par l’octroi de financements, les porteurs de dossiers qui ont franchi la première étape de sélection à persévérer en présentant à nouveau leur projet. La réussite de l’ERC se mesure à la mobilisation des instituts de recherche européens et des agences nationales pour aider chercheurs jeunes ou confirmés à se lancer dans l’aventure.

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Notes

1   Pour la France : Geneviève Berger et Jean-Luc Clément (CNRS), Pierre Papon (OST), Étienne-Émile Beaulieu (INSERM), Xavier Chapuisat (CPU), Jean-François Girard (IRD), Marion Guillou (INRA), Jean-François Minster (IFREMER), René Pellat (CEA), Anthony Chaumuzeau (Ministère des affaires étrangères) et Alain Peyraube (Ministère délégué de la recherche et des nouvelles technologies).

2   Cette répartition est aujourd’hui respectivement de 44 % (PE), 39 % (LS) et 17 % (SH).

3   Trois programmes essentiels sont désormais en cours à l’ERC : un programme « Starting Grant » pour les candidats ayant obtenu leur doctorat depuis plus de deux ans et moins de 7 ans, un programme « Consolidator Grant » pour ceux qui sont docteurs depuis plus de 7 ans et moins de 12 ans, un programme « Advanced Grant » pour tous les candidats. À ces trois appels d’offre, qui forment le cœur même de l’ERC, se sont ajoutés un programme « Synergy Grant » (15 millions d’euros par projet pour une durée de 6 ans) qui pourrait ne pas être renouvelé tous les ans, voire disparaître, et un programme « Proof of concept » (150 000 euros pour un an). Pour le détail de ces deux programmes, voir le site <https://erc.europa.eu/>.

4   On peut noter à ce propos que la France, dans le domaine des SHS, n’a cessé de reculer, dans le classement des pays qui accueillent le plus de projets ERC dans leurs institutions : 3e derrière le Royaume-Uni et les Pays-Bas en 2007, 2e derrière le Royaume-Uni en 2008, 5e derrière le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas en 2009, 2e derrière le Royaume-Uni en 2010, 3e derrière le Royaume-Uni et les Pays-Bas en 2011, 3e derrière le Royaume-Uni et les Pays-Bas en 2012, 3e derrière le Royaume-Uni et les Pays-Bas en 2013, 4e en 2014 derrière le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Allemagne, 7e en 2015 derrière le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Danemark.

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References

Bibliographical reference

Alain Peyraube, “Financement de la recherche sur projet”Mélanges de la Casa de Velázquez, 47-1 | 2017, 343-346.

Electronic reference

Alain Peyraube, “Financement de la recherche sur projet”Mélanges de la Casa de Velázquez [Online], 47-1 | 2017, Online since 01 January 2018, connection on 28 March 2024. URL: http://journals.openedition.org/mcv/7547; DOI: https://doi.org/10.4000/mcv.7547

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About the author

Alain Peyraube

Membre du Conseil scientifique de l’ERC (août 2005 - janvier 2014)

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